Il est temps de se taire
de ranger les accessoires
les costumes
les rêves
les douleurs
les cartes postales
Il est temps de fermer la parenthèse
arrêter le refrain
vendre les meubles
nettoyer la chambre
vider les poubelles
Il est temps d’ouvrir la cage
des canaris qui m’ont prodigué leur chant
contre une vague nourriture
et quelques gobelets d’eau
Il est temps de quitter
la maison des illusions
pour le large d’un océan de feu
où mes métaux humains
pourraient enfin fondre
Il est temps de quitter l’enveloppe
et s’apprêter au voyage
Nos chemins se séparent
ô mon frère l’évadé
J’ai de la folie
mon grain propre
Un choix autre
de la séparation
J’ai ma petite lumière
sur les significations dernières
de l’horreur
Une fois
une seule fois
il m’est arrivé d’être homme
comme l’ont célébré les romances
Et ce fut
au mitan de l’amour
L’amour
quoi de plus léger pour un havresac
Alors je m’envole
sans regret
j’adhère au cri
l’archaïque
rougi au feu des déveines
et je remonte d’une seule traite
la chaîne des avortements
Je surprends le chaos
en ses préparatifs
Je convoque à ma transe noire
le peuple majoritaire des éclopés
esprits vaincus
martyrs des passions réprouvées
vierges sacrifiées au moloch de la fécondité
aèdes chassés de la cité
dinosaures aussi doux que des colombes
foudroyés en plein rêve
ermites de tous temps
ayant survécu dans leurs grottes
aux bulldozers de l’histoire
Je ne me reconnais d’autre peuple
que ce peuple
guéri du rapt et du meurtre
du vampirisme des besoins
des adorations
des soumissions
et des lois stupides
Je ne me reconnais d’autre peuple
que ce peuple
non issu de la horde
nuitamment nomade
laissant aux arbres leurs fruits
aux animaux la vie sauve
se nourrissant du lait des étoiles
confiant ses morts
à la générosité du silence
Je ne me reconnais d’autre peuple
que ce peuple
impossible
Nous nous rejoignons dans la transe
La danse nous rajeunit
nous fait traverser l’absence
Une autre veille commence
aux confins de la mémoire
(Paroles d’aube, 1998)