Le Maroc a connu, au cours des dernières années, des avancées incontestables sur la voie de l’option démocratique. Au-delà des différences d’appréciation quant à l’ampleur et la concrétisation de ces acquis, au rôle plus ou moins déterminant des différents acteurs qui ont œuvré pour leur réalisation, force est de constater qu’ils ont changé de fond en comble le climat de notre vie politique. Le vent de liberté qui souffle sur notre pays a levé bien des tabous qui ont bridé pendant longtemps le débat national. Il a permis l’éclosion d’une nouvelle conscience citoyenne et favorisé, de façon inouïe, l’initiative et la créativité de la société civile.
Mais il y a un revers de la médaille. Cet élan émancipateur, porteur de rénovation, se heurte dans son déploiement à des vents contraires qui soufflent, eux, depuis des décennies et prennent aujourd’hui l’allure d’une tornade menaçant les fondements humanistes de la Maison marocaine. A l’arbitraire sans faille qui a confisqué le projet démocratique dans le passé se substitue maintenant une déferlante obscurantiste voulant régir notre société selon un modèle encore plus archaïque et ayant dans sa ligne de mire toutes les valeurs pour lesquelles le mouvement progressiste a combattu et consenti d’énormes sacrifices depuis l’aube de l’indépendance.
C’est ainsi que, au moment même où nous entrevoyons une lumière au bout du tunnel, les fossoyeurs de l’espérance s’activent à en boucher l’issue.
Il est grand temps pour les démocrates de notre pays de prendre la mesure exacte d’un tel péril, des effets pernicieux qu’il a déjà provoqués au sein de larges couches de la population, sans parler du doute qu’il réussit parfois à semer dans leurs propres rangs. Il ne s’agit ni de surévaluer ni de sous-estimer ce péril, mais d’assumer résolument une tâche de salubrité publique consistant à ranimer la flamme du combat démocratique et des valeurs qui l’entretiennent. Un combat qui puisse contrer et désarticuler les vagues du pessimisme, du catastrophisme et des lamentations stériles alimentées par ceux qui ont intérêt à présenter le Maroc comme un pays qui régresse plutôt qu’il n’avance, et qui se préparent, en se basant sur ce diagnostic fallacieux, à l’entraîner vers le chaos.
L’heure est donc au sursaut, à la mobilisation des énergies et au rassemblement, non seulement pour faire barrage au camp conservateur lors des prochaines échéances électorales, mais bien au-delà, pour que le projet démocratique porteur de liberté, de pluralisme, de modernité, de progrès matériel et moral soit perçu clairement et massivement comme le seul à même de rendre sa dignité à notre peuple, de répondre concrètement à ses aspirations de justice, d’égalité, de sécurité, et de lui redonner le goût d’un avenir vivable, prometteur d’épanouissement pour lui et les générations futures.
Evidemment, une bataille d’une telle envergure ne saurait être gagnée si les démocrates se présentent en rangs dispersés. Plus que jamais, le camp démocratique est appelé à se ressaisir afin d’enrayer le processus de son propre émiettement. Et il y réussira d’autant plus sûrement qu’il s’attellera sans tarder à la tâche de reconstruction de son identité, de régénération de sa pensée et de ses pratiques. Il en acquerra une vision renouvelée de nos réalités et une appréciation plus objective de l’ensemble des forces vives capables d’entraîner l’adhésion de la société et de la mobiliser en faveur du projet démocratique.
C’est alors que les contours du camp démocratique pourront s’élargir et que la voie du rassemblement s’ouvrira sur de nouvelles perspectives. Partis politiques, syndicats, acteurs de la société civile, intellectuels et créateurs seront en mesure d’enclencher entre eux une véritable synergie, mettant en commun la diversité de leurs savoirs, expériences et talents, au service du même combat.
Mais ces vœux ainsi exprimés auront encore plus de crédibilité et d’impact si l’ensemble des forces citées parviennent à nouer entre elles un pacte démocratique précisant les valeurs et les propositions qu’elles s’engagent à défendre d’une même voix auprès de l’opinion publique.
L’élaboration de ce pacte d’honneur revêt un caractère d’urgence. Toutefois, ce dernier ne gagnera rien à sortir fin prêt d’une officine quelconque. Seul le débat au grand jour, impliquant toutes les potentialités, lui garantira son poids de vérité et sa force de conviction. Fruit de l’intellectuel collectif, il engagera encore plus résolument chaque partenaire dans une bataille qu’il fait sienne et dont il est pleinement conscient qu’elle a pour enjeux déterminants la mise en échec des visées rétrogrades et le triomphe des choix démocratiques.
Œuvrons pour ce pacte fédérateur !
Œuvrons pour que la famille démocratique se redresse et porte haut le flambeau de l’espoir, des valeurs humanistes et du progrès !
Abdellatif Laâbi, septembre 2007