tahar benjelloun


villes l'oeil

pp. 57-59

 

Porte de l'Afrique
à quelques doigts de l'Europe
ouverte, donnée
avec à peine quelque teinte exotique
un grand chapeau de paille et un porteur d'eau de toutes les traces bariolé
un petit musée un dirham le sourire et la dent en or scintille
pose, pose pour le souvenir standard le grand socco emporté par petites tranches
dans le tourbillon des promesses et l'illusion embaumée.
une casbah par maison
des jardins nantais votre imagination
des places coule votre délire
décor nos corps juxtaposés alignés nos corps
sahara fertile
le miracle notre peau étalée dans les bazars
terrible notre mémoire qui revient de loin
la rue
quinquagénaires traînent leur cadavre
mollusque et voix visqueuse
quelques dollars épinglés sur le front
l'oeil sur la tempe
l'oeil sous la gorge
la nuque déplacée
des gosses comme de petits pains
des sexes démesurés viennent fouiller dans le dos
arrachent les dents et s'en vont dormir sur le sable de leur désir
et attendent

Je marche
et mes pas laissent des volcans éteints
je marche
et capte les messages anonymes
je n'entends que louanges
je capte un regard désarmé
et je m'arrête

la ville est une forêt qu'on démantèle
suite à la méditerranée qui enroule ses estivants
dans la nuit des pierres
et la mica qu'on dévore
Ville                                                               !
Ô rires furibonds
sur ton seuil je dépose la blessure
qu'éclate le mutisme
ciel se confond. dans tes yeux brûlés
sur amas d'une vie à refaire
le défi de tes enfants à relever
dans la fantasia de ton ventre
clair l'arbre se plie sous le bras
tu n'as plus qu'à ramper sur la pointe de tes silences sur la pointe
de tes regards
impensable l'absence de cigognes et des sauterelles quel malheur
pour un rapt inutile

Pousse ton espoir sur les boulevards
tu nommeras le silex et l'instant cendre
la ville s'ouvrira
plaie profonde.

Non.
Pourquoi lyncher l'ombre et redonner le cancer de votre salive
ouvrez leur poitrine
dépecez leur ventre
et sortez les rats qui pourrissent

Ablutions à l'alcool
dans nos mains une étoile
dans notre bouche une mitraille
EXPULSONS LE SOLEIL
de nos murs notre sang
jaillira
en ouverture
ternira vos cieux
l'apothéose est la mer
une fois une le sable se meut envahit vos nuits palpitantes
nuits orientales
nuits andalouses
nuits d'insomnie
dans les caves et les terrasses
tout pour un dollar
de la cervelle en poudre
du kif en portion
une nuit avec une fille
une vie avec un gosse

Circulez entre les murs
vous verrez des mains suspendues
des yeux incrustés

 

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(*) - Ce texte est tiré d'un recueil en préparation : « Hommes Sous Linceul de Silence ».



souffles: sommaire du nº 18 (mars-avril 1970) ou sommaire général

Souffles