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JUIN 2017

ABDELLATIF LAABI DANS L’ŒIL DU CŒUR
Carte blanche au poète – Le lundi 12 juin 2017 à 19h30, à la Maison de la poésie, Paris.

Cet événement est organisé dans le cadre de la périphérie du 35e Marché de la poésie.

PROGRAMME DE LA SOIRÉE :

Ouverture musicale
Entretien avec Danielle Maurel
Récital-concert « L’œil du cœur « avec Driss Maloumi (musique), Naziha Meftah (chant) et Abdellatif Laâbi (lecture)
Lecture de Françoise Ascal, poétesse invitée de l’auteur
Choix de textes d’Abdellatif. Laâbi lus par Guy Lavigerie et Jocelyne Laâbi
Lecture par le poète de textes inédits
Finale musical

La soirée verra la participation à différents moments de la musicienne Marie-Eve Ronveaux (violoncelle)

Rappel : Carte blanche à Abdellatif Laâbi
Le lundi 12 juin à 19h 30, Maison de la poésie, Passage Molière. 157, rue Saint-Martin. 75003 Paris
Tél. : 01 44 54 53 00
Réservation conseillée


Abdellatif Laâbi confie ses archives à l’IMEC

C’est en date du 3 juin dernier qu’Abdellatif Laâbi a confié ses archives personnelles à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine en ses locaux de l’abbaye d’Ardenne à Caen (France).

Le fonds comprend entre autres :

— l’intégralité de ses œuvres manuscrites ;

— sa correspondance, notamment ses lettres de prison destinées à son épouse, Jocelyne, à des membres de sa famille et à des amis ;

— l’intégralité de ses œuvres dans leurs diverses éditions et de leur traduction dans plusieurs langues, ainsi que ses propres traductions d’auteurs arabes en français ;

— de multiples archives se rapportant à l’époque de la revue Souffles, du procès de Casablanca, en 1973, des années de prison, à diverses créations inspirées de ses écrits, à des projets culturels et politiques dans lesquels il s’est impliqué depuis les années quatre-vingt jusqu’à nos jours.

Le fonds comprend enfin une masse de commentaires critiques concernant ses œuvres et qui ont été publiés dans des livres, des revues, ou dans la presse. Le contrat qui lie Abdellatif Laâbi à l’administration de l’IMEC stipule que, au cas où une institution ayant la même vocation que ce dernier, offrant les mêmes garanties de sauvegarde et de protection, venait à être créée au Maroc, ces archives pourraient y être transférées, en partie ou en totalité. Une telle décision relèverait alors des ayants droit de l’auteur.


Anti-poème

Je passe en revue ce qui communément se dit :

La pierre respire. Le bois travaille. L’arbre se dénude. Le ciel se couvre. Le vent gémit. L’herbe se couche. Le nuage court. La forêt recule. Le volcan se réveille. L’étoile pâlit. La mer mugit. Le soleil se cache. La montagne tue. Le désert avance, etc.

Et voilà que je songe à ces tribus arabes d’avant l’islam qui façonnaient des statuettes de dieux avec des dattes, les adoraient pendant que la nourriture était abondante, puis, en temps de pénurie, les mangeaient sans état d’âme. Que faisons-nous d’autre avec la nature, cette divinité que nous avons recréée à notre image en pétrissant quotidiennement la pâte de la langue ? Aujourd’hui, ne sommes-nous pas en train de la dévorer après l’avoir tant adorée ?

(Inédit)


Écoute ce que dit Michel Bakounine, un homme qui n’aura vécu au siècle précédent le mien que pour dire non à ce qui maintient les êtres humains en esclavage :
« Ce que tous les autres hommes sont m’importe beaucoup, parce que, tout indépendant que je m’imagine… je suis incessamment le produit de ce que sont les derniers d’entre eux ; s’ils sont ignorants, misérables, esclaves, mon existence est déterminée par leur ignorance, leur misère et leur esclavage. […] Moi voulant être libre, je ne le puis pas, parce qu’autour de moi tous les hommes ne veulent pas être libres encore, et ne le voulant pas, ils deviennent contre moi des instruments d’oppression.
Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres… Ma liberté personnelle ainsi confirmée par la liberté de tout le monde s’étend à l’infini. »

Abdellatif Laâbi, Le Livre imprévu


Le poète
et la roue des questions
A-t-il failli lui aussi ?
Il s’est battu
tant que le monde avait une assise
et le berger une étoile
Il a hurlé avec les fous
et arboré le sourire de l’éveillé
Il a tendu la main
jusqu’à ce qu’on la lui coupe
De sa marge
il observe maintenant les broyeurs
succédant aux broyeurs
Jusqu’à quand ?

(inédit)

Abdellatif Laâbi, août 2009


Annonce: le mardi 30 juin 2009 à Paris

 

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Trace du papillon

La trace du papillon ne se voit guère
la trace du papillon ne s’efface pas
C’est l’attirance d’une énigme
qui convoque le sens et s’éclipse
quand la voie s’éclaircit
Ce sont la légèreté de l’infini dans le quotidien
les espoirs portés au plus haut
et la belle illumination
C’est une marque suggestive dans la lumière
quand notre guide intérieur
nous conduit vers les mots
C’est comme une chanson qui s’essaie
à dire et se contente
de s’adapter aux ombres
sans devoir dire
La trace du papillon ne se voit guère
la trace du papillon ne s’efface pas

Mahmoud Darwich (Traduction : A. Laâbi)

Petite vague de joie pure
sois la bienvenue
au milieu de l’océan des peines
Grâce à toi je sais
qu’il n’est pas vain d’espérer une trêve
dans le cycle de l’horreur
que dans le cahier de l’amour
il me reste des pages blanches
qu’un ami perdu de vue
me fera le plus inattendu des signes
qu’une autre vie
à la flamme brève mais inouïe
m’attend encore dans cette vie
Petite vague de joie pure
puisses-tu éclairer d’un sourire
le visage esquissé
de chaque destinataire de ces lignes !

Abdellatif Laâbi, janvier 2008.


Empreintes

Si l’on pouvait écrire

juste en apposant

ses empreintes digitales

sur la page

cela éviterait

le mal que l’on se donne

pour rechercher l’originalité

à n’importe quel prix

Retrouvez ce poème dans Ecris la vie.


La flamme de la petite bougie

Cela dit

c’est de persister qu’il s’agit

Ne pas oublier

le feuillage ayant cette vertu

les astres inexplorés

qui naviguent à vue

sur les flots de l’éternité

Protéger de ses poèmes nus

la flamme de la petite bougie

Supporter la brûlure

de ses larmes

et savoir à temps

la passer au suivant

Retrouvez ce poème dans Ruses de vivant, avec dessins de Mohammed Kacimi, éditions Al Manar, 2004.


Puisqu’il faut parler d’avenir

Je n’attends rien de la vie. Je vais à sa rencontre.

Je chemine ainsi vers l’avenir, le possible, l’incertain.

Ce faisant, je ne suis pas sûr d’avancer ou de reculer. Que la pente soit ascendante ou descendante ne me préoccupe pas outre mesure. le territoire que j’arpente est celui de la mémoire conjuguée à tous les temps. La mémoire transmise qui m’a constitué bien sûr, mais aussi celle que je crée par intuitions successives. Dans le cours de la durée, j’ai du mal à être sédentaire. Car je suis un homme de l’entre-deux : langues, cultures, époques, espaces géographiques et mentaux. Je nomadise par nécessité au départ, par goût ensuite. Entre les deux rives de mon être, je me dois d’être un passeur.

La fêlure est là, qui ne me laisse pas de répit, et me maintient en éveil. Le sens de la vie, ce n’est rien d’autre que cette vigilance qu’inspire la justice. Le passé, chaînes ou lumières? L’avenir, menaces ou promesses? Et le présent? Ligne fictive ou creuset du vivant?

La réponse est fermée, disait un poète ami. Seule la question est ouverte, digne d’être habitée par l’errant sur son chemin de quête.

L’avenir ne me désole ni m’enchante. Mais s’il frappe à ma porte provisoire, il sait qu’il sera reçu dans les règles de l’hospitalité des… nomades.

Abdellatif LAÂBI


Rencontre à Casablanca les 12 et 13 Mai des collectifs marocain et espagnol contre le terrorisme et pour la fraternité et la paix entre les deux peuples.

Texte adopté à Madrid en Juillet 2004, lors de la première rencontre de ces collectifs, à la suite d’une initiative prise par la partie marocaine.

Nous, citoyens marocains et espagnols signataires de cette déclaration, réunis autour de l’initiative  » Le train de la vie et de l’amitié  » , adressons en priorité un message de fraternité aux familles des victimes des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca et du 11 mars 2004 à Madrid. Notre pensée va aussi aux rescapés qui souffrent encore dans leur chair et leur âme. Nous voulons qu’ils sachent tous que nous partageons leurs souffrances et sommes endeuillés par leur deuil. Face à cette tragédie, nous nous sentons unis dans le sentiment de l’horreur que nous inspire la barbarie du terrorisme. Quelles que soient nos croyances religieuses, nos convictions philosophiques, idéologiques ou politiques, nous sommes encore plus convaincus que la vie est ce qu’il y a de plus sacré en l’homme, et qu’elle est le bien le plus précieux de l’humanité. Rien, absolument rien ne justifie moralement d’y porter atteinte et de la mutiler. Le droit que certains s’octroient sur elle les met au ban de l’humanité.
Nous tenons donc à réaffirmer ici solennellement notre attachement aux valeurs universelles qui nous sont communes : la liberté, la tolérance, la démocratie, la fraternité, le respect de la dignité humaine, le rejet intégral du fanatisme et de l’obscurantisme d’où qu’ils viennent. D’un autre côté, nous pensons que la terrible épreuve que nous venons de traverser devrait agir comme un puissant levier d’ouverture et de dialogue. L’heure est venue, des deux côtés du Détroit, de reconnaître sans complexe et en toute confiance la part commune, si essentielle, de notre culture et de notre histoire, de faire un atout déterminant de notre voisinage géographique et de nous atteler à un vaste projet de développement humain et démocratique qui puisse canaliser et mettre en harmonie le dynamisme, le génie et les aspirations de nos deux peuples à une société humaine plus juste et pacifiée.


Que nos mains se joignent. La caravane de la vie passera, car elle est la seule à emprunter résolument le chemin de l’espoir.

(Ce manifeste a été signé par de nombreux intellectuels, artistes et hommes politiques espagnols, portugais, latino-américains et marocains.)


Lettre à Florence Aubenas

Emmurée
Ton cœur continue à battre
au fond des ténèbres
Dans ton cœur
un œil s’est ouvert
Il voit ce que nous ne savons plus voir :
le rictus du bourreau
tapi en chacun de nous
le visage de l’innocence
piétiné par la horde
l’étincelle de compassion qui seule
peut nous illuminer de l’intérieur
la main qui s’ouvre
pour que la tendresse jaillisse
comme de source
le signe de reconnaissance
avant la fonte des métaux humains
dans l’acte prodigieux de l’amour
la bouche sans fard
d’où vont couler
les paroles si rares de vérité
les sept lettres plus que parlantes
de notre souveraine liberté

Emmurés
dans leurs propres ténèbres
tes geôliers campent hors du temps et du monde
De leur humanité
ils n’ont plus qu’un vague souvenir
Ils n’ont d’autres membres
que leurs armes
d’autre tête
que le chaudron en ébullition de la haine
d’autre cœur
que la pierre ponce servant à affûter les couteaux
Emmurés
dans leurs propres ténèbres
tes geôliers ne savent pas ce qu’ils font

Et nous qui oublions les nuits
pour ne compter que les jours
tournoyant dans le cirque violemment éclairé
de nos libertés insipides
nous pensons à toi Florence
en espérant qu’un œil s’ouvre dans notre cœur
et nous révèle
ce que nous ne savons plus voir :
nos gestes quotidiens de petits prédateurs
qui rarement s’ignorent
la couleur du mensonge
étalée sur toute la palette des discours
la cassure irrémédiable de notre planète
pour mieux séparer
les élus des laissés-pour-compte
la toile solide
de l’araignée de l’indifférence
qui enserre peu à peu nos facultés
les barreaux contre lesquels nous nous cognons le front
en regardant passer au loin
la caravane de nos rêves

Emmurée
Ton cœur continue à battre
Dans ton cœur
l’œil qui s’est ouvert
voit maintenant en nous
Il relit notre histoire
en la traduisant dans toutes les langues
Grand prince
il en corrige même les fautes
et nous met en demeure
d’écrire une nouvelle page
inspirée par la leçon des ténèbres
intronisant enfin la raison et ses lumières
Vois-tu Florence
c’est toi
qui voles à notre secours !

Abdellatif LAÂBI, Créteil, Mars 2005.


Le 4 Février 2005, Abdellatif et Jocelyne Laâbi étaient les invités de l’émission « Les Matins de France Culture » à l’occasion de la parution aux Editions de la Différence de Chroniques de la citadelle d’exil et La poésie marocaine : de l’indépendance à nos jours d’Abdellatif Laâbi et La liqueur d’aloès de Jocelyne Laâbi. L’intégralité audio de l’émission est à retrouver sur le site de France Culture.

Lisez également l’article « Jocelyne et Abdellatif Laâbi : Un duo d’amour et d’écriture » paru dans Le Monde des livres du 04.02.05.


Du droit de t’insurger

Du droit de t’insurger tu useras

quoi qu’il advienne

Du devoir de discerner

dévoiler

lacérer

chaque visage de l’abjection

tu t’acquitteras

à visage découvert

De la graine de lumière

dispensée à ton espèce

chue dans tes entrailles

tu te feras gardien et vestale

À ces conditions préalables

tu mériteras ton vrai nom

homme de parole

ou poète si l’on veut

Inédit, janvier 2006


O jardinier de l’âme
as-tu prévu pour la nouvelle année
un carré de terre humaine
où planter encore quelques rêves ?
As-tu sélectionné les graines
ensoleillé les outils
consulté le vol des oiseaux
observé les astres, les visages
les cailloux et les vagues ?
L’amour t’a-t-il parlé ces jours-ci
dans sa langue étrangère ?
As-tu allumé une autre bougie
pour blesser la nuit dans son orgueil ?
Mais parle
si tu es toujours là
Dis-moi au moins :
qu’as-tu mangé et qu’as-tu bu ?

Abdellatif Laâbi, Inédit, janvier 2007.


 

Crime contre la culture palestinienne (Libération, 2002)