jilali gharbaoui

souffles
numéro 6, deuxième trimestre 1967

abdellatif laâbi : réalités et dilemmes de la culture nationale (II) (1)
peinture : jilali gharbaoui
pp. 29-35


     " Nous voulons que nos sociétés s'élèvent à un degré supérieur de développement, mais d'elles-mêmes, par croissance interne, par nécessité intérieure, par progrès organique, sans que rien d'extérieur vienne gauchir cette croissance, ou l'altérer ou la compromettre... Aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous... Et c'est ici une véritable révolution copernicienne qu'il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l'extrême droite à l'extrême gauche, l'habitude de faire pour nous, l'habitude de disposer pour nous, l'habitude de penser pour nous, bref l'habitude de nous contester ce droit à l'initiative et qui est en définitive le droit à la personnalité."

AIMÉ CÉSAIRE (Lettre à Maurice Thorez)


LA PHASE ACTUELLE DE LA DECOLONISATION CULTURELLE


     Le Tiers-Monde devait se définir.

     L'homme de culture a enfin compris que quelles que soient l'objectivité et la sympathie du spécialiste étranger du Tiers-Monde vis-à-vis de ses problèmes socio-culturels, certaines de nos dimensions lui échappaient toujours. L'homme de culture du Tiers-Monde n'acceptera plus d'être le spectateur de ce scalp scientifique de laboratoire dont sa société, son histoire, sa culture et même sa démarche décoloniale sont les multiples cobayes. Il voudra circonscrire selon sa propre optique et des terminologies nouvelles (dont l'élaboration devient urgente), l'autopsie de la colonisation, l'apport de l'oeuvre Khaldounienne ou le souffle de la poésie populaire.

     Les complexes que le phénomène colonial a provoqués sont après tout bien partagés.

     L'intelligentsia européenne n'a jamais autant écrit sur le problème juif qu'après les massacres perpétrés par les nazis au cours de la dernière guerre. Elle n'aura jamais été aussi acharnée à dépecer le Cadavre colonial qu'après la déclaration de la faillite du Système (2). L'homme de culture du Tiers-Monde ne pourra pas être éternellement dupe de la logique de ces auto-procès.

     D'un côté, il ne manquera pas de rendre hommage à tout cet effort de remise en question et de mise à jour. D'un autre, il ne s'en tiendra pas à l'admiration inconditionnelle de cette auto-critique dont il devra rechercher les mobiles les plus cachés.

     Le procès du phénomène colonial entrepris par les intellectuels européens repose souvent sur des options inauthentiques.

     Nous ne pouvons plus croire aux demi-mesures.

     Que cherche-t-on réellement à nous démontrer ? Que l'Occident s'est réveillé à une totale justice, au relativisme des civilisations et des cultures ? Qu'il y a permanence d'un Occident contestateur de l'Occident oppresseur officiel ?

     Tout se passe comme si l'Europe, en pleine perte de vitesse de son rayonnement civilisateur, cherchait à amortir sa chute par des bouées de sauvetage. Avec les auteurs coloniaux au moins, nous savions à quoi nous en tenir. L'exploration scientifique de notre corps et de notre patrimoine avait des buts rationnels et avoués. L'auteur colonial ne s'empêtrait pas de politesses et de coups d'oeil à notre égard. Il nous offrait sur un plateau de plomb aux spécialistes directs de la "pacification", aux futures recrues métropolitaines. En ce sens, il nous signifiait bien qu'il se foutait de nos cauchemars.

     L'intellectuel européen d'aujourd'hui a la tâche plus ardue. Les vieux canevas du système colonial étant démontés et le discrédit universel jeté sur sa politique d'oppression et d'assimilation, il doit faire face à de nouveaux rapports et à une autre logique d'approche.

     Il ne peut pas nous barrer de ses préoccupations. Il sait que nous sommes devenus par notre prise de conscience et notre combat révolutionnaire des locuteurs à part entière. Nous avons pris nos fauteuils dans le banquet international d'apparat qu'est l'O.N.U. Tout semble indiquer que notre voix peut peser autant que la sienne. Il sait par ailleurs que nous sommes pour lui des censeurs avertis.

     Malgré cela, sa démarche analytique reste essentiellement orientée vers le public européen qu'il veut gagner à sa cause donquichotesque de décolonisateur et de juste.

     Sur nos ruines, sur nos balbutiements, sur nos sciatiques d'élans, il s'en va, fort de systèmes de pensée, de méthodologies et de terminologies appropriées nous offrir lui aussi sur un plateau, lavés et réhabilités, civilisés ma foi définitivement, martyrs d'un Occident boudeur, prodigue ou avare selon notre gentillesse ou notre colère.

     Il faudra donc déterminer les mobiles de toute la production décoloniale écrite en Europe depuis 20 ans.

     Serait-elle l'un des aspects des modes intellectuelles que nous savons très nombreuses et changeantes en Europe ? Un des aboutissements de l'effort critique porté de l'intérieur sur les problèmes socio-humains et culturels dans lesquels se débat l'Europe depuis les deux dernières guerres ? Serait-elle enfin motivée par un besoin traditionnel de "propreté" de la civilisation occidentale ? Car ne cherche-t-on pas aussi, à travers ce lavage à grande eau, le dépassement d'une culpabilité et d'une mauvaise conscience ?

     L'image d'un Occident ouvert, d'avant-garde, solidaire des opprimés, risque d'être retenue au détriment de l'image d'un Occident clos, sécréteur d'impérialisme et de monolithisme culturel.

     Il ne saurait y avoir de solidarité qu'au niveau de l'oppression et du vécu. Il serait illusoire de croire qu'il pourrait se former dans l'immédiat une identité d'options et de conscience entre les intellectuels du monde développé, de l'histoire consignée, des valeurs triomphantes et ceux du monde du sous-développement, des coups d'état, de l'analphabétisme et des valeurs absentes. Il ne saurait y avoir en outre d'identité des logiques et des psychismes humains.

     Dans le monde standardisé d'aujourd'hui, où la force technicienne de l'Occident impose l'uniformité de ses produits socio-culturels, on a trop souvent tendance à réduire l'atavisme à un résidu irrationnel d'arriérisme, sinon de racisme latent.

     Or cet atavisme existe. Je crois en son dynamisme libérateur. Si l'Europe s'en méfie, c'est parce qu'en son nom, elle a laissé exécuter des millions d'êtres humains, ce qui lui a inculqué le sentiment d'une immense culpabilité qu'elle étale aujourd'hui vaillamment.

     Mais l'atavisme au nom duquel le nazisme avait exécuté est une simple extériorité : un ensemble de mensurations bio-physiques.

     L'atavisme dont nous pouvons nous réclamer n'est pas de ce simplisme raciste. C'est une conscience organique du vécu culturel, une descente dans l'histoire du corps et de la mémoire.

     Ce n'est pas d'ailleurs d'aujourd'hui que date la méfiance que l'Occident entretient vis-à-vis du corps. Des préceptes bien chrétiens qui discréditaient l'organisme humain, à l'hyper-cérébralité des philosophies actuelles, la tradition s'est maintenue. Dans la civilisation du Nombre, on ne défend plus à la rigueur qu'un vague corporel : ce que l'on appelle "intériorité".

     La culture commerciale en Europe est atteinte de stérilisation et de castration. Elle témoigne éloquemment de la perte du corps.

     Si nous avons nous autres ce sentiment aigu du corps, si nous éprouvons la nécessité de le recouvrer dans toutes ses profondeurs et ses correspondances, c'est parce que la colonisation a été un véritable phénomène anthropophagique, une greffe à travers laquelle on recherchait l'annihilation de l'autre, l'assimilation de son corps au grand corps prétendu universel.

     Le sentiment atavique est un signe suprême d'authenticité et d'enracinement. Si le cordon qui nous lie à cet atavisme venait à se rompre, nous nous noierions dans les tourbes de l'anonymat et de la robotisation. Nous nous alignerions comme des singes électroniques sur les modes de vie et de pensée étrangers qui nous aspirent de leur magnétisme puissant.

     La perte de la conscience atavique a déjà provoqué la dépersonnalisation d'une foule d'intellectuels du Tiers-Monde et parfois même de castes sociales entières (3).

     Ces données peuvent sembler belliqueuses à la fois pour l'occidental prêchant avec largesse l'égalité et l'universalisme et pour l'intellectuel du Tiers-Monde aspirant, à la suite d'idéologies internationalistes, à cette égalité et universalisme qu'il assimile à une acquisition salutaire le hissant à un rang de dignité existentielle.

     La duperie d'une telle aspiration ne peut plus nous échapper.

     L'octroi ou la revendication de l'universalisme ne peuvent aboutir dans la situation actuelle de la monstrueuse inégalité qui existe entre le monde développé et l'autre qu'à l'assimilation culturelle, sociologique et mentale du plus faible par le plus fort.

     L'assimilation qui fut, au cours de la période coloniale, une politique appuyée par la violence pourra s'effectuer de nos jours lentement mais sûrement, uniquement par le phénomène de l'usure.

     Ainsi, la culture africaine, offerte assez récemment à la latinisation par l'un de ses premiers promoteurs, était mal préparée pour ce dialogue. Les forces culturelles mises en présence ne pouvaient pas dialoguer. Le dialogue se fait à armes égales, à tables rases égales. Le troc ne peut se faire lorsque d'un côté les valeurs sont rationalisées, bénéficiant d'une continuité historique, d'un prestige séculaire qui l'immunisent contre toute falsification, et quand d'un autre (la culture africaine), les valeurs sont en gestation, rarement assumées par leurs dépositaires, fréquemment inventoriées et choisies par les acteurs du camp adverse.

     Dans ce cas, l'échange est un simple canular. C'est un échange démagogique de prestige, un échange avant terme qui perturbe le développement d'une civilisation sans faire bénéficier rien de réellement authentique à l'autre.

     Mélange hétérogène. Pas dialogue.

     D'un côté, des siècles d'élaboration et de dépassement, des crises, des renaissances, d'un autre à peine quelques décennies d'inventaire, des cris, un travail harassant de déblayage.

     Il faudra se garder de croire, à ce niveau de réflexion, que nous opposons ici la vieillesse à la jeunesse, l'assurance de la maturité au désordre de la vitalité.

     Si un travail immense attend le Tiers-Monde pour parvenir à un apport universel, l'Occident devra lui aussi se réviser encore, non pas en fonction de nous, mais en fonction de lui-même, de ses propres structures sociologiques et culturelles.

     Lorsqu'on proclame en Europe un petit peu partout dans les gauches et les droites la faillite de beaucoup de valeurs occidentales, il est nécessaire pour l'Occident de ne pas venir ni aujourd'hui ni demain à notre rendez-vous avec des oeufs pourris. C'est que notre vitalité est devenue très exigeante. Nous n'avons pas en tout cas à faire pour les autres un travail de déblayage que nous faisons pour nous-mêmes.

     L'Occident ne sera plus dans la course et ne pourra plus nous être d'aucun apport s'il nous renvoie indéfiniment l'écho plaintif de son enlisement.

     S'il veut véritablement contribuer à la genèse d'une nouvelle humanité, il devra faire son nettoyage, avancer des propositions d'une totale nouveauté, quitter son désespoir et ses refrains d'absurde, de destruction du réel pour déboucher sur une peau neuve, une virilité neuve.

     Il en est pour le moment au constat des carences, des culpabilités, à une opposition désordonnée contre l'appareil économico-social qui l'aliène.

     Mais ce moment est devenu des moments, un cycle de recommencement où de nombreuses énergies se perdent, parfois un désintérêt qui pousse l'occidental à rechercher ailleurs que chez lui les sources de jouvence et d'action.

     Et c'est souvent à ce moment que nous le rencontrons.

     Nous sommes parfois obligés de ne pas apprécier sans appréhensions cette main tendue. Nous ne pouvons pas accepter quant à nous allègrement les démissions, d'où qu'elles viennent.

     Nous n'avons pas toujours la force de lui dire : Laissez-nous la paix, cela nous regarde, nos épaules sont maintenant à la même hauteur, il y a des choses que vous ne pouvez pas comprendre.

     Souvent, nous ne pouvons pas faire autrement que de le laisser rechercher et penser pour nous. S'il y a un trop plein en Occident, nous souffrons de carences dans les domaines de la recherche et de la création.

     Et l'intellectuel occidental n'a qu'à prendre la place.

     Il la prend. Rien ne lui paraît bizarre dans cette opération.

     Imaginez ce qui adviendra si demain une armée futuriste de spécialistes du Tiers-Monde se ruait sur l'histoire, la culture, la littérature, toutes sciences humaines de l'Occident pour les reconsidérer et les mettre en ordre. C'est impensable. Des utopies aussi gratuites ne peuvent s'imaginer. Mais l'inverse s'est produit et continue son déploiement depuis un siècle et demi et rien ne semble plus normal dans le monde de l'égalité et de l'universalisme.

     Propos de Jihad vont penser certains. Fiel d'impuissance ou chauvinisme à rebours, vont ajouter les idéologues "ouverts" de nos pays.

     Peu importe. La récupération de soi, la souveraineté existentielle, l'accession à la parole n'ont pas encore eu lieu pour l'immense majorité des peuples anciennement colonisés et la plupart des intellectuels, (porte-parole de ces peuples) qui se prétendent restructurés se débattent de plus en plus sans le savoir dans des schémas extrêmement subtils d'aliénation.

     C'est qu'au nom d'un humanisme abstrait, seringué à forte dose dans la culture de l'ancien oppresseur, ils sont rarement allés au bout de leur raisonnement et de leur démarche de reconsidération.

     Les effluves de l'humanisme, des valeurs dites sacrées, Art-Beauté-Sagesse-Raison-Personne et toutes les bibles depuis Socrate-Aristote jusqu'à Marx-Lénine-Sartre, autant de leçons et de conditionnements. Cela a donné aux porte-parole du Tiers-Monde les plus farouches des éclairs de douceur dans les yeux, une tonalité fervente de la voix, des vertus humaines de tendresse et de sensibilité, un progressisme d'avant-garde, qualités hautement appréciées dans les anciennes métropoles où l'on s'ébahit devant tant de ressemblance et de brio.

     Or l'authenticité est une perpétuelle vigilance avec le psychisme et le corps. Pour tout dire un extrémisme!

     L'extrémisme pour l'intellectuel du Tiers-Monde, c'est de ne pas lâcher le fil au milieu du labyrinthe, c'est de ne pas pactiser avant terme. C'est un arrachement absolu des contingences et des amitiés faciles, une permanente angoisse d'être, d'être entier sans pièces artificielles ou de rechange.

     Dès lors, l'universalisme devient un guêpier, non seulement pour les grandes options intellectuelles ou idéologiques, mais aussi pour la simple intériorité, la forêt lacustre des sentiments humains.

     La manière dont nous appréhendons la mort, l'amour, la guerre ou le cosmos peuvent être autant de signes de notre authenticité ou de notre aliénation.

      

     L'extrémisme dont nous parlons est aux antipodes du fanatisme.

     Que le Tiers-Monde décide de se choisir, de se définir lui-même et seul, qu'il s'insurge contre une politique d'assimilation ou qu'il se méfie de l'interventionnisme, cela ne veut pas dire qu'il porte une condamnation systématique sur l'Occident afin de lui arracher le monopole de la pensée, de la création, de l'action.

     A long terme, le Tiers-Monde aura certainement à réapprendre l'Occident, à le réaborder, non plus avec des complexes ou un esprit critique acerbe, mais avec la sérénité de la connaissance devenue besoin de dialogue.

     L'Occident est encore pour la plupart d'entre nous un concept complexe, sinon opaque.

     Les épousailles forcées que nous avions contractées ont avorté avec la brutalité de tout divorce. Nous nous rendons compte que malgré toute cette cohabitation mentale et culturelle, nous n'avons rien donné ni reçu de décisif.

     Que l'Occident veuille aujourd'hui nous réapprendre, nous ne pouvons le lui refuser à priori. Mais il est équipé pour cela. De plus, un tel apprentissage est salutaire pour sa bonne santé morale.

     Le moment n'est pas encore urgent pour nous d'effectuer une semblable démarche.

     Dans ce long périple de notre re-venue au monde, nous avons découvert qu'il y a des phases prioritaires. La prise en charge inconditionnelle de notre propre destin culturel est, au stade actuel, une décision infiniment plus urgente et vitale que n'importe quel nuancement de l'Occident.

     Il ne faut pas que certains de nos intellectuels, enhardis par le procès intenté au colonialisme et ses séquelles en Occident, reçus là-bas à bras ouverts et "compris", se croient obligés de témoigner tout de suite à son égard des marques de reconnaissance au détriment de leur lucidité et de ce qui est encore plus urgent pour eux : la quête de leur propre identité. Souvent contempteurs des schémas d'aliénation de la période coloniale, ces intellectuels ne tardent pas à tomber dans d'autres panneaux.

     C'est que presque toute l'agitation critique et analytique qui s'opère là-bas nous maintient dans un rôle dissimulé. L'intellectuel du Tiers-Monde qui se trouve dans cette situation ne parvient pas à un stade de responsabilité ouverte. Comme locuteur, exégète ou dénonciateur, il subit la plupart du temps une cérémonie significative celle des "présentations". Editeurs, marchands de soupe et progressistes sont malgré eux imbriqués dans un système de production-consommation régi par le capital. Il y a un marché de la culture. Les idées généreuses ne nourrissent pas. L'intellectuel du Tiers-Monde sera donc "introduit". Que son oeuvre soit ou non adressée au public européen, le présentateur (qui lui apporte la garantie de son nom) arrivera toujours a démontrer que l'Europe n'y est pas absente. On en arrive finalement, dans l'édition et la diffusion, à une intégration économique et morale de l'oeuvre.

     Mais ce qui est plus grave de conséquences (et qui découle des deux premières intégrations), c'est son intégration culturelle.

     Ainsi, si la colonisation a produit en Europe des décolonisateurs, elle a produit aussi un état d'esprit chez une classe intellectuelle de plus en plus déphasée par rapport aux réalités culturelles européennes. Cette classe qui a une conscience aiguë d'un essoufflement créateur en Europe se tourne avec ardeur vers toute vitalité venant du dehors.

     Par son amitié, ses encouragements, son appui, elle en arrive parfois à orienter le travail de l'intellectuel du Tiers-Monde, à le pousser à l'expression d'un vertige artistique et littéraire (sous-tendu par un puissant exotisme) qui répond avant tout à ses propres besoins et obsessions (4).

     Ces situations ne peuvent plus satisfaire l'intellectuel du Tiers-Monde. Il y a là encore une dérivation du circuit normal, une mendicité communicationnelle qu'il ne peut accepter qu'au détriment de son authenticité créatrice.

     Il est cependant capital qu'il en prenne conscience non seulement pour sa libération effective mais pour qu'il puisse mieux discerner l'urgence d'une action dans son propre contexte. Action révolutionnaire totale qui devra déjouer dans les pays du Tiers-Monde les maladies infantiles des slogans et des recettes d'importation et qui, en bouleversant les hypothèques de la dépendance et des multiples modes d'exploitation en cours, dotera l'homme de culture de chez nous des moyens qui lui permettront d'exercer véritablement ses responsabilités.

     La culture nationale n'est ni une négation, ni une volonté de clôture. Volonté, nécessité et condition d'être, on ne peut pas y déboucher par des portes de service.

     C'est un itinéraire ardu que les hommes de culture du Tiers-Monde doivent assumer. Epopée du corps et de la mémoire avec le risque.

(A SUIVRE)


1 : Consultez abdellatif laâbi : réalités et dilemmes de la culture nationale (I) (Souffles, numéro 4)
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2 : La bibliographie de cette autopsie s'allonge de plus en plus. Quant à celle du problème juif, tout le monde sait qu'elle fait les succès de librairie et qu'elle remplit assidûment les colonnes de la majorité des revues en impitoyables témoignages et dossiers. Le masochisme de cette conscience aiguë n'est certainement pas fortuit.
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3 : Voir "Peaux noires, masques blancs" où Frantz Fanon décrit en psychiatre ce phénomène de dépersonnalisation. (Paris, Ed. du Seuil, 1952). La pièce de D. Boukman publiée ici, illustre admirablement le même phénomène (voir le "Rêve du fou" etc...)
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4 : Cette classe ne s'en tient pas là. Parfois, elle se met à l'école du Tiers-Monde. L'intellectuel européen se "négrifie" par exemple. Safaris, tamtams, flore africaine parcourent ses textes. Il n'y a dans ce phénomène rien de nouveau. Bien qu'il se soit intellectualisé, et ait changé de mobiles, on le retrouve, plus naïf et spontané si l'on peut dire, depuis le début du siècle dans l'immense littérature exotique européenne. Le phénomène nous semble plus normal pour cette dernière puisque les auteurs se contentaient d'offrir un dépaysement à leurs lecteurs en décrivant les pays dits d' "Outre-Mer".
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