pp. 20-21

                                                           additif
motion sur la politique de l'enseignement


(2e Congrès du S.N.E. — Casablanca)

     La politique pratiquée dans le domaine de l'enseignement par le pouvoir représente un aspect particulier des rapports sociaux prévalant dans notre pays, et une image supplémentaire de l'oppression de classe et de l'oppression impérialiste.

     L'enseignement a toujours été et demeure un important foyer d'explosion de la lutte des classes. C'est ce que démontre le combat sans relâche mené par les masses populaires depuis l'époque coloniale, combat que couronnèrent les événements de mars 1965 et que les luttes estudiantines (au sens large : englobant les lycéens) des deux dernières années illustrent encore.

     Notre conception du problème de l'enseignement en tant que l'une des formes de l'oppression de classe et impérialiste implique que sa véritable solution passe, non seulement par la liquidation des bases de cette oppression, mais aussi par la dénonciation résolue des positions erronées de certaines organisations réformistes qui expliquent la crise de l'enseignement dans notre pays par des éléments superficiels et partiels, tels que « l'improvisation », ou « le manque de planification », etc...

     Si cette dernière conception insiste quand même, de temps en temps, sur le lien objectif entre la politique de l'enseignement et la politique économique, elle ferme systématiquement les yeux sur les facteurs de la lutte de classes, de l'organisation politique et sur celui — déterminant — de la lutte des masses ; son insistance se comprend alors dans le cadre du réformisme économique et, en fin de compte, de la volonté de mystifier les masses, de paralyser leur dynamisme et de les enfermer dans les limites du centrisme bourgeois...

     ...Aux débuts de « l'indépendance », alors qu'existait une sorte d'équilibre des forces entre elles et les forces nationales, les classes au pouvoir avaient adopté les mots d'ordre fondamentaux de la bataille de l'enseignement : généralisation, arabisation, unification, marocanisation, formation des cadres. Depuis, elles n'ont cessé de manœuvrer pour consolider leur pouvoir sur tous les plans, jusqu'au moment où elles se sont retournées franchement contre ces mots d'ordre et proclamé sans vergogne des options clairement réactionnaires.

     En tout état de cause, nous considérons que les « quatre principes » n'englobent pas l'ensemble des transformations nécessaires, elles représentent seulement une plateforme minimale susceptible d'introduire des transformations plus radicales.

     Quelles sont, maintenant, les caractéristiques de la politique actuelle de l'enseignement ? Pour le voir, nous devons partir de deux points de vue :
— l'aspect fondamental de la structure du pouvoir
— la nature des classes dominantes.

     Au plan de la démocratisation de l'enseignement, nous constatons que le système actuel (du primaire à l'université) ne permet qu'à une minorité de privilégiés d'achever leurs études, alors que les enfants des classes pauvres sont condamnés — par ce système — à l'ignorance et au chômage. L'Etat a toujours été plus disposé à augmenter les dépenses de répression plutôt que celles de l'enseignement. Cette seule priorité démontre encore une fois — s'il en était besoin — le parasitisme et la décrépitude du système.

     Au plan de la formation des cadres, la dépendance du pouvoir vis-à-vis de l'impérialisme, son besoin constant d'être « assisté » par ce dernier, l'arriération économique elle-même, l'ont toujours amené à des choix restrictifs, anti-nationaux et réactionnaires. En effet, il ne cherche pas à former des cadres d'un niveau élevé, au contraire ; il s'appuie totalement sur la « coopération technique et culturelle ». Ce faisant, il barre la route à la marocanisation de l'enseignement et de l'économie en général. C'est ainsi qu'il procéda dernièrement, à titre d'exemple, à la liquidation pure et simple de l'E.N.S., et il est fort possible qu'il fasse subir le même sort à d'autres grandes écoles du même genre.

     Par ailleurs, et toujours dans le même esprit, le pouvoir s'obstine à n'apporter aucune solution satisfaisante au problème de l'enseignement technique, et se refuse à créer un troisième cycle pour cet enseignement.

     Venons-en à la question de l'arabisation. La langue arabe étant le véhicule de la civilisation des masses et l'expression de leurs sentiments, ainsi que de leur aspiration nationale à l'unité arabe et à la libération, le pouvoir apparaît en contradiction très nette avec les masses populaires à propos de la question de l'arabisation. Là encore, il obéit à ses structures économiques et à ses intérêts politiques. Il ne cache pas son mépris pour tout ce qui est national et cher aux masses, tout en alléguant « l'inaptitude de la langue arabe à véhiculer les sciences modernes » et autres mensonges.

     En ce qui concerne la question de l'unification de l'enseignement, le pouvoir n'a pas cessé de contredire, dans les faits, ses proclamations verbales. En maintenant « l'enseignement israélite » et les missions culturelles étrangères, il prouve sa servilité vis-à-vis de la culture impérialo-sioniste. D'un autre côté, ce maintien, et l'extension (Dar Hadith) de l'enseignement originel — ajouté à la liquidation de l'E.N.S. —, prouvent encore que le principal objectif du pouvoir en matière d'enseignement est de perpétuer son idéologie et de satisfaire les caprices de la féodalité.

     Quant au contenu de l'enseignement inculqué à l'étudiant tout au long de ses études, il se résume en définitive à un ensemble de concepts féodalo-bourgeois et impérialistes, réactionnaires et périmés, qui ne correspondent qu'aux intérêts et « valeurs » de la minorité au pouvoir — et sont étrangers à nos réalités et aux aspirations profondes de notre peuple.

     La critique des principes que nous avons soulignés dans le cadre de la définition des caractéristiques de la politique actuelle de l'enseignement doit être considérée simplement comme un point de départ pour une critique plus vaste et plus rigoureuse, que notre organisation syndicale doit mettre à son programme.

     La question principale qui se pose maintenant est celle concernant notre programme de lutte.

     Notre organisation est pleinement consciente de ce qu'une refonte de l'enseignement dans notre pays est fondamentalement liée à un changement de l'ensemble des structures socio-économiques. En conséquence, notre organisation se doit de lier constamment son activité syndicale à la lutte politique des masses laborieuses.

     Notre organisation, tout en sachant l'incapacité du pouvoir actuel d'y répondre, doit continuer à revendiquer l'arabisation de l'enseignement et la formation des cadres à tous les échelons — et faire de ces deux revendications ses mots d'ordre principaux.

     Ceci ne signifie nullement qu'il faille négliger les autres aspects de la politique de l'enseignement. Au contraire, un mot d'ordre tel que la démocratisation est voué à appuyer de façon décisive les deux mots d'ordre principaux.

     L'organisation s'engage par ailleurs à lutter avec dévouement afin d'arracher toutes les améliorations possibles (extension des bourses, élévation des salaires, arrêt des exclusions...).

     En outre, elle s'engage à collaborer avec toutes les forces nationales en vue d'organiser la protestation des masses sous diverses formes à propos des questions d'enseignement.

     Le succès de nos tâches exige un réexamen de nos méthodes, dans un sens qui permette la mobilisation du plus grand nombre, et l'approfondissement de la conscience politique des enseignants.

     Il exige également de briser l'isolement des enseignants, dû à leur division. Ce pourquoi notre présent congrès réaffirme la nécessité de l'union, dans des conditions qui ne nuisent pas à la lutte.

    Enfin, notre congrès lance un appel à toutes les organisations nationales, afin d'établir un programme minimum commun, devenu urgent devant la situation alarmante de l'enseignement...

                                                                    le 2e Congrès du Syndicat National de l'Enseignement
                                                                                       (décembre 1970)